jeudi 24 février 2011

伦敦

"It is not a pleasant place, it is not agreeable or cheerful or easy or exempt from reproach. It is only magnificent." Henry James

Je reviens de Londres, et je veux y retourner. Je veux encore vivre sa folie, sa beauté, son désordre.  En voyageant j'ai vu des endroits plus beaux, plus touchants, mais jamais aussi particuliers, qui soient pour moi à la fois familiers et étonnants .

Elle n'a pourtant pas été facile à aimer, si effrayée que je suis de sortir des sentiers battus. Je me souviens des premiers mois à être toute misérable dans ma petite chambre avec des barreaux aux fenêtres. Et à vrai dire, à chaque changement il en a été de même, je ne suis pas du genre à me jeter à corps perdu dans l'aventure, il me faut du temps, il me faut apprivoiser les gens et les lieux. Mais ce n'est pas si grave, le jeu en vaut la chandelle comme ils disent. Pour deux mois de grisaille et déprime j'ai gagné presque une année entière d'émerveillement.

Londres est une ville qui vous happe et vous transporte, elle est tout et n'importe quoi, elle grouille de gens qui essayent chacun à leur manière de participer à la fête, dans l'espoir que quelqu'un les entende, que cela change un peu le cours des choses. A voir cette ville on sent qu'elle a un passé et un futur, et entre les deux un bordel pas possible où chacun tente de trouver sa place. C'est une ville gigantesque mais jamais anonyme, elle a le visage de tous ceux qui ont la folie mais aussi la chance d'en faire partie. Et surtout, comme aucun autre lieu, c'est chez moi.

Il y a bien sûr d'autres endroits qui me sont chers, mais pour la plupart ils appartiennent au passé, ils sont des pierres que j'ai ramassées le long du chemin, et glissées dans ma poche par affection. Ils sont lisses et rassurants, et ils seront toujours là, pour m'ancrer à la réalité. Ils font partie de moi mais ne me possèdent pas toute entière. Avec Londres c'est différent. C'est comme si c'était elle qui me réinventait, même à distance. J'espère pouvoir poursuivre cette belle aventure, même si je dois d'abord lui faire des infidélités avec d'autres lieux, qui je l'espère me transporteront autant, sinon plus. Mais je sais qu'elle sera toujours là sur le chemin, à m'attendre. Et comme tous ceux qui y ont vécu un jour, je rêve d'y retourner encore et toujours, pour participer un peu à son joyeux bordel.




[pour Marc. I swear some day we'll both live in London again, mon enfant.]

mercredi 2 février 2011

De quoi hérite-t-on?

Le voilà enfin, cet article sur le patrimoine! Un sujet digne d'une bibliothécaire à jupe en tweed et lunettes en écaille, me direz-vous. Ouais bah hein, faut me pardonner. J'ai mes moments.

Je me rends de plus en plus compte que l'héritage historique est une notion bien floue, qui a autant de définitions qu'il y a de cultures, et peut-être même d'individus.

Demandez à un français et à un chinois ce qu'ils considèrent comme leur héritage, vous vous rendrez vite compte que la nature même des choses citées n'a rien à voir. Pour un chinois cela n'est pas important de raser les ruines d'un temple millénaire pour en construire un neuf tout rutilant à la place. Alors qu'en France on crie au scandale dès que qui que ce soit veut toucher à un monument "historique". Chez les chinois c'est l'histoire du lieu, son caractère sacré qui est primordial. Que les pierres qui y reposent aient 2000 ou 2 ans, finalement c'est accessoire. De même, ce n'est pas choquant pour eux de graver leur nom sur une statue millénaire, ou de construire des escaliers en béton au beau milieu d'une montagne taoïste. Ce n'est pas grave de griffonner son nom sur une magnifique peinture de paysage, pour prouver qu'elle nous appartient. Et même si je ne cautionne pas ce genre de comportement, je crois que je commence à en entrevoir la raison- en Chine l'histoire serait quelque chose en mouvement, que chacun peut s'approprier et réinterpréter, et rien n'est "sacré" au sens où on l'entend ici. Bien sûr, il y a aussi le développement si soudain du tourisme, et l'idée qu'à présent ce qui compte c'est que ce soit beau et propre et que ça fasse bien en photo- pas que ce soit "authentique".  Mais ça évoluera peut-être, et sans doute aussi à cause du nombre croissant de touristes étrangers, qui préfèrent aller voir les bouts de la Grande Muraille qui sont accidentés, plutôt que les tronçons tout rénovés avec du beau ciment et des belles pierres bien lisses. Je me souviens aussi d'avoir été perplexe devant le temple d'Hatchepsout à Louxor, qui a été reconstruit pierre par pierre quitte à en ajouter une bonne moitié de neuves, puis poli au point de ressembler à un bâtiment moderne. Et effectivement, c'est ce à quoi il ressemblait à l'époque. Alors vous me direz, pourquoi pas? Tous les Japonais adoraient, mais les Occidentaux avaient l'air un peu perdu au milieu de ce truc rutilant. Ceci dit cette reconstruction datait d'il y a une vingtaine d'années, et depuis ils sont revenus à des techniques plus "naturelles", plus "authentiques".

En France au contraire, je trouve qu'on cultive cette authenticité peut-être à outrance, quitte à très rarement imaginer des reconversions pour les vieux bâtiments. Il y a sans doute derrière cela un système légal très complexe qui empêche beaucoup d'initiatives, mais on voit rarement des collectifs, des associations, s'approprier des bâtiments abandonnés pour leur donner une nouvelle vie. Soit ils sont considérés comme historiques et gardés tels quels, soit ils sont trop moches et tout simplement rasés. D'où cette sensation que j'ai souvent eue d'un Paris statique, enferré dans ses immeubles hausmanniens et son culte de l'ancien.  C'est une ville-musée, véritablement, et c'est ce qui la rend fascinante mais souvent si étouffante. D'un autre côté, je tombe souvent sur de très beaux cafés du début du XXème siècle qui ont été rachetés par des chaînes, et même si c'est assez drôle (le Starbucks Opéra, par exemple), ça me rend un peu triste. Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est du gâchis, mais  c'est carrément snob comme idée. Tant que le décor est laissé intact, on s'en fout un peu que ce soit un Paul ou un grand bar de luxe, non? Au moins c'est moins cher ^_^ Par contre au Royaume-Uni, la législation doit être beaucoup plus souple, parce que tous les pubs anciens sont rachetés par Wetherspoons, une chaîne assez bon marché mais tout à fait impersonnelle qui va toujours au plus pratique. Du coup, si les belles fresques au mur sont abîmées, ils mettent une couche de peinture blanche par-dessus. Quand les lustres se cassent la gueule, ils installent des spots. Ca donne des résultats assez étonnants, de lieux dont on devine la splendeur passée mais qui sont devenus quasi impersonnels. Je pense notamment d'un ancien bâtiment de la Royal Bank of Scotland avec des plafonds magnifiques, qui est maintenant un gros pub tout pourrave de Glasgow. Et partout, partout en Ecosse, et dans une moindre mesure dans le reste du Royaume-Uni, il y a des exemple de ce rabibochage un peu à la va-vite. C'est sans doute lié à un manque d'intérêt du gouvernement, et à un manque de moyens aussi. Je ne sais pas trop si ça m'attriste ou si ça m'amuse. En tout cas c'est encore une autre idée du patrimoine: on fait du neuf avec du vieux, en allant au plus économique.

Mais en même temps, l'utilisation de matériaux anciens pour reconstruire quelque chose de neuf a été de mise dans beaucoup de cultures : construire des églises ou des mosquées avec les colonnes des temples romains d'à côté, ça se voit à peu près partout. Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que les gens pensaient à l'époque: est-ce que c'était une manière de dévaloriser la culture précédente en détruisant ses monuments, pour montrer sa supériorité? Un simple souci pratique, parce que les pierres étaient déjà là et déjà taillées? Ou un souci esthétique, parce que souvent les matériaux étaient rares et que les sculptures étaient fines? Ou un peu des trois? Est-ce que ces gens auraient fait la même chose s'il s'était agit de monuments de leur propre culture, de leur propre religion ? Il y avait-il une sensibilité artistique dans tout ça? A Istanbul par exemple, un sultan avait voulu raser Sainte Sophie pour construire une mosquée à la place, mais la trouvant tellement belle il décida de garder les mosaïques byzantines et de ne faire que des modifications minimes pour la transformer en mosquée. C'est une belle histoire je trouve. Elle montre bien à quel point l'héritage est une notion qui repose sur l'individu.

Mais alors, le patrimoine est-il un chose réelle, palpable, ou seulement un concept que nous appliquons aux choses, selon notre propre héritage culturel, selon notre sensibilité, selon nos intentions? J'ai hâte de voyager encore et toujours pour confronter ma vision à celle des autres, et j'espère que vous avez un avis sur la question.

En attendant, j'arrête de vous faire chier avec mes divagations de bibliothécaire, et je vous dis à bientôt mes choupinous.

<3