mercredi 2 février 2011

De quoi hérite-t-on?

Le voilà enfin, cet article sur le patrimoine! Un sujet digne d'une bibliothécaire à jupe en tweed et lunettes en écaille, me direz-vous. Ouais bah hein, faut me pardonner. J'ai mes moments.

Je me rends de plus en plus compte que l'héritage historique est une notion bien floue, qui a autant de définitions qu'il y a de cultures, et peut-être même d'individus.

Demandez à un français et à un chinois ce qu'ils considèrent comme leur héritage, vous vous rendrez vite compte que la nature même des choses citées n'a rien à voir. Pour un chinois cela n'est pas important de raser les ruines d'un temple millénaire pour en construire un neuf tout rutilant à la place. Alors qu'en France on crie au scandale dès que qui que ce soit veut toucher à un monument "historique". Chez les chinois c'est l'histoire du lieu, son caractère sacré qui est primordial. Que les pierres qui y reposent aient 2000 ou 2 ans, finalement c'est accessoire. De même, ce n'est pas choquant pour eux de graver leur nom sur une statue millénaire, ou de construire des escaliers en béton au beau milieu d'une montagne taoïste. Ce n'est pas grave de griffonner son nom sur une magnifique peinture de paysage, pour prouver qu'elle nous appartient. Et même si je ne cautionne pas ce genre de comportement, je crois que je commence à en entrevoir la raison- en Chine l'histoire serait quelque chose en mouvement, que chacun peut s'approprier et réinterpréter, et rien n'est "sacré" au sens où on l'entend ici. Bien sûr, il y a aussi le développement si soudain du tourisme, et l'idée qu'à présent ce qui compte c'est que ce soit beau et propre et que ça fasse bien en photo- pas que ce soit "authentique".  Mais ça évoluera peut-être, et sans doute aussi à cause du nombre croissant de touristes étrangers, qui préfèrent aller voir les bouts de la Grande Muraille qui sont accidentés, plutôt que les tronçons tout rénovés avec du beau ciment et des belles pierres bien lisses. Je me souviens aussi d'avoir été perplexe devant le temple d'Hatchepsout à Louxor, qui a été reconstruit pierre par pierre quitte à en ajouter une bonne moitié de neuves, puis poli au point de ressembler à un bâtiment moderne. Et effectivement, c'est ce à quoi il ressemblait à l'époque. Alors vous me direz, pourquoi pas? Tous les Japonais adoraient, mais les Occidentaux avaient l'air un peu perdu au milieu de ce truc rutilant. Ceci dit cette reconstruction datait d'il y a une vingtaine d'années, et depuis ils sont revenus à des techniques plus "naturelles", plus "authentiques".

En France au contraire, je trouve qu'on cultive cette authenticité peut-être à outrance, quitte à très rarement imaginer des reconversions pour les vieux bâtiments. Il y a sans doute derrière cela un système légal très complexe qui empêche beaucoup d'initiatives, mais on voit rarement des collectifs, des associations, s'approprier des bâtiments abandonnés pour leur donner une nouvelle vie. Soit ils sont considérés comme historiques et gardés tels quels, soit ils sont trop moches et tout simplement rasés. D'où cette sensation que j'ai souvent eue d'un Paris statique, enferré dans ses immeubles hausmanniens et son culte de l'ancien.  C'est une ville-musée, véritablement, et c'est ce qui la rend fascinante mais souvent si étouffante. D'un autre côté, je tombe souvent sur de très beaux cafés du début du XXème siècle qui ont été rachetés par des chaînes, et même si c'est assez drôle (le Starbucks Opéra, par exemple), ça me rend un peu triste. Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est du gâchis, mais  c'est carrément snob comme idée. Tant que le décor est laissé intact, on s'en fout un peu que ce soit un Paul ou un grand bar de luxe, non? Au moins c'est moins cher ^_^ Par contre au Royaume-Uni, la législation doit être beaucoup plus souple, parce que tous les pubs anciens sont rachetés par Wetherspoons, une chaîne assez bon marché mais tout à fait impersonnelle qui va toujours au plus pratique. Du coup, si les belles fresques au mur sont abîmées, ils mettent une couche de peinture blanche par-dessus. Quand les lustres se cassent la gueule, ils installent des spots. Ca donne des résultats assez étonnants, de lieux dont on devine la splendeur passée mais qui sont devenus quasi impersonnels. Je pense notamment d'un ancien bâtiment de la Royal Bank of Scotland avec des plafonds magnifiques, qui est maintenant un gros pub tout pourrave de Glasgow. Et partout, partout en Ecosse, et dans une moindre mesure dans le reste du Royaume-Uni, il y a des exemple de ce rabibochage un peu à la va-vite. C'est sans doute lié à un manque d'intérêt du gouvernement, et à un manque de moyens aussi. Je ne sais pas trop si ça m'attriste ou si ça m'amuse. En tout cas c'est encore une autre idée du patrimoine: on fait du neuf avec du vieux, en allant au plus économique.

Mais en même temps, l'utilisation de matériaux anciens pour reconstruire quelque chose de neuf a été de mise dans beaucoup de cultures : construire des églises ou des mosquées avec les colonnes des temples romains d'à côté, ça se voit à peu près partout. Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que les gens pensaient à l'époque: est-ce que c'était une manière de dévaloriser la culture précédente en détruisant ses monuments, pour montrer sa supériorité? Un simple souci pratique, parce que les pierres étaient déjà là et déjà taillées? Ou un souci esthétique, parce que souvent les matériaux étaient rares et que les sculptures étaient fines? Ou un peu des trois? Est-ce que ces gens auraient fait la même chose s'il s'était agit de monuments de leur propre culture, de leur propre religion ? Il y avait-il une sensibilité artistique dans tout ça? A Istanbul par exemple, un sultan avait voulu raser Sainte Sophie pour construire une mosquée à la place, mais la trouvant tellement belle il décida de garder les mosaïques byzantines et de ne faire que des modifications minimes pour la transformer en mosquée. C'est une belle histoire je trouve. Elle montre bien à quel point l'héritage est une notion qui repose sur l'individu.

Mais alors, le patrimoine est-il un chose réelle, palpable, ou seulement un concept que nous appliquons aux choses, selon notre propre héritage culturel, selon notre sensibilité, selon nos intentions? J'ai hâte de voyager encore et toujours pour confronter ma vision à celle des autres, et j'espère que vous avez un avis sur la question.

En attendant, j'arrête de vous faire chier avec mes divagations de bibliothécaire, et je vous dis à bientôt mes choupinous.

<3

4 commentaires:

  1. Tu 'divagues' plutôt bien :) Très intéressant ce post sur le concept de patrimoine.

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. Alors, bon, quand même, me sentant un peu concernée par le mot "bibliothécaire", je tiens à souligner que la notion de "patrimoine" n'entre qu'extrêmement peu en ligne de compte dans ce métier. Les bibliothécaires ont une optique plus pragmatique d'administration du personnel et des collections, et laissent la gestion du patrimoine culturel aux Conservateurs (qui ont passé un tout autre concours).
    En fait, la notion de patrimoine comme on l'entend aujourd'hui, dans notre culture, avec cette idée qu'il faut protéger le passé, est vraiment très récente. De nombreuses grottes ornées de peintures rupestres ont été défigurées pendant le 17ème ou le 18ème siècle : des couples d'amoureux gravaient ou peignaient leurs noms par dessus ces petits dessins sans se soucier de la valeur qu'ils pouvaient avoir. En fait, ces peintures n'avaient pas de valeur, puisqu'il a fallut que nos sociétés dites "occidentales" atteignent un certain niveau de développement avant de prendre le soucis de conserver l'"avant". C'est principalement dû à l'accélération de l'évolution technologique, et au doute grandissant : "va-t-on vraiment vers le mieux ?" La conservation du patrimoine, c'est la façon qu'ont les civilisations de se dire que c'était mieux avant, et que, peut-être, si on garde un bout de cet "avant", on évitera le désastre.
    Mais, comme tu dis, les choses sont très différentes d'une culture à une autre : en France, les bâtiments désaffectés deviennent propriété de l'état (rarement au profit du Ministère de la Culture) alors qu'au Royaume-Uni, pays de Common Law, tout se vend plus facilement. Et comme tu le dis, les choses sont différentes sur un même continent, et donc aussi entre les continents.Nous, nous incluons la littérature dans notre "exception culturelle française", alors que les Etats-Unis ne pourraient pas plus se désintéresser de la leur, même s'ils essayaient.

    RépondreSupprimer
  4. Marine, pour le côté "bibliothécaire", c'était plus pour l'image de la nana en tweed et lunettes que pour le métier en lui-me^me, qui je te l'accorde est quelque peu éloigné de la notion de patrimoine dans le ses où je l'aborde dans l'article :)

    Et sinon tu as raison, je n'ai pas du tout parlé du patrimoine "immatériel", dont l'idée d'un pays à l'autre est encore plus diverse que lorsqu'on parle de monuments tangibles qui reflètent une histoire. En tout cas c'est chouette de lire des réactions à ce sujet ! <3

    RépondreSupprimer